Encres de Chine
出版社 : 巴黎太平洋通出版社
语言 : 中文,法文
出版日期 : 2015年12月
ISBN:978-2-916578-56-9
艺术家:蒋山青
Souvenirs d’encre
Sur le point de mourir, comme on lui demandait ce qui avait été le plus important dans sa vie, l’écrivain Jin Shengtan1 déclara en un léger soupir : « Le plus délicieux est le goût du tofu mêlé à des cacahuètes. » Et moi, que pourrais-je dire si l’on me demandait de résumer en quelques mots ce que l’encre évoque en moi de plus exquis ? Ce genre de question suscite toujours les réactions les plus diverses, mais pour ce qui concerne l’encre, elle a toujours été une source d’infinie richesse dans ma vie.
Je suis né dans le sud, et le sud est le pays des eaux, contrairement au nord, contrée aride où les pluies sont rares ; or l’encre est préparée avec de l’eau, elle est fondée sur un rapport subtil entre le sec et l’humide. Je me souviens précisément du changement très net qui s’est produit dans ma peinture à l’encre lorsque je suis venu m’installer à Pékin. Les différences de qualité de l’eau et de perméabilité de l’encre d’une saison à l’autre ont souvent produit des phénomènes aléatoires, mais finalement ces éléments fortuits ont contribué à diversifier mon approche esthétique, à empêcher qu’elle se sclérose, ce qui suffit à m’apporter des joies sans fin.
La Pluie des Céréales, bien entendu, se trouve juste au milieu de la saison du printemps, tout comme l’Equinoxe est au cœur de l’automne, mais ces dates du calendrier traditionnel ne doivent pas constituer des modèles d’inspiration ; tout simplement, de même qu’à différentes contrées correspondent des encres différentes, à différentes saisons répondent des états d’esprit différents, et cela même est une source de variations d’une infinie richesse. J’ai parcouru les endroits les plus divers, du nord au sud, et partout j’ai trouvé un immense plaisir à prendre en chemin mon pinceau et jouer avec l’encre, plaisir qui n’a pas diminué avec l’âge, mais s’est au contraire enrichi de sensations nouvelles. Quand il m’arrive de retrouver l’un de mes anciens tableaux, qu’il soit bon ou mauvais, peu importe, il me rappelle toujours les circonstances dans lesquelles je l’ai peint, et ce sont toujours de très bons souvenirs qu’il évoque ainsi.
L’encre a rallongé mon existence, élargi mon univers, enrichi mon expérience et ma sensibilité ; c’est une telle heureuse surprise que je n’ai aucune intention de tenir quelque autre journal intime.
Jiang Shanqing
Texte traduit du chinois par Pierre Yang et Brigitte Duzan